C’est au creux d’un contraste extrême entre une éblouissante fantaisie au plateau et des récits résolument ancrés dans le réel que la compagnie mexicaine construit depuis plus de vingt ans un passionnant terrain de jeu. Centroamérica offre une plongée déroutante en terre méconnue sur les pas de A., Nicaraguayenne forcée à l’exil par la dictature.

Abolir les frontières entre fiction et réalité pour nuancer nos certitudes et faire la lumière sur des zones d’ombre, telle est la ligne de force du vaste laboratoire de création et de pensée développé depuis 2003 par Luisa Pardo et Lázaro Gabino Rodríguez avec leur collectif artistique. Provoquer un choc en présentant un objet qui pourrait être (juste) une pièce de théâtre - et qui l’est éminemment par la richesse de sa forme -, mais qui n’est pas que ça...  Ici, le choc fait l’effet d’un reflet inattendu dans un miroir croisé par hasard, qui dévoile le visage de l’instabilité géopolitique, sociale, militaire, économique et écologique d’une immense région du monde : l’Amérique Centrale. Qualité de jeu pétillante, décor bigarré, musique entraînante et innovations théâtrales en cascade servent une généreuse investigation sur les pas d’une femme exilée politique. Entre révolutions avortées, culture intensive, climat d’insécurité lié aux règlements de comptes entre gangs, périmètres dédiés à l’exploitation industrielle et commerciale, interventionnisme américain, exodes, ce territoire au sud du Mexique ressemble à une vaste zone franche d'expérimentations de mesures les plus délétères qui soient. A la croisée du théâtre et du reportage, à l’appui de voyages, de recherches, de lectures et de nombreux témoignages d’hommes et de femmes exilés du Nicaragua, Centroamérica est une fresque réaliste et fantasque, politique et intime, qui interroge notre capacité à bâtir des futurs meilleurs.