Ils ont «fait» Mai 68, ils sont partis pour le Chili voir si l’herbe du socialisme y était plus rouge -avant le rouge sang de Pinochet bien sûr- ils sont revenus, ont traversé les années désillusions, inauguré les années bobo… Et les voilà qui ne désarment pas, bravement installés à la campagne, prêts à aider à l’élevage de vaches du voisin faute de pouvoir, comme jadis, élever leurs propres chèvres et vivre de trois pélardons vendus sur le marché. On aura reconnu sans peine les prototypes d’une génération qui voulait changer le monde et qui, faute de mieux, change les meubles Ikea entre résidence des villes et résidence des champs. Entre-temps, les prototypes ont eu des enfants. Ils ont des frères, des sœurs au parcours pas forcément semblable. Et quand tout le monde se retrouve pour les sacro-saints repas familiaux, vieille tradition française qu’aucun Mai 68 n’a pu engloutir, ces Quarante pas si glorieuses sont aussi au menu. Pour le spectateur de Nous sommes seuls maintenant, il y a une double jubilation. Jubilation à retrouver des personnages qui font partie de l’environnement familial et national. Jubilation à renouer avec un théâtre choral où douze acteurs -au plus fort du repas- construisent un édifice de mots où chacun peut entendre les échos de sa propre expérience. On n’est pas dans Festen : il n’y a pas de cadavres familiaux dans les placards. Mais il y a tant de comptes à régler, de non-dits à formuler, de désillusions à solder que cette pièce sonne comme la fin de partie d’une génération.