Sous la cloche de ce titre sucré, c’est une comédie plus amère que douce, mais tout à fait jouissive, que nous réserve l’incontournable artiste suisse. Fantasque, espiègle, intelligent, son puzzle de textes de Labiche étrangle la grande bourgeoisie. Quand la blancheur immaculée décrépit sur son étang jaune, le plaisir est à savourer sans modération. 

De la pièce peu mise en scène de Labiche, La poudre aux yeux, succulente satire du monde bourgeois, Christoph Marthaler fait un spectacle jouissif, en deux langues – français et allemand, frôlant le patois à souhait -, aussi burlesque que nappé d’une consistante réflexion sur le langage et l’incommunicabilité.
Alors que Frédéric Ratinois et Emeline Malingeard, dont les pères sont respectivement rentier et médecin, s’apprêtent à s’unir, la demande de mariage transforme avec fureur le comportement des mères. A l’étonnement général, elles rivalisent alors de prétention et de mensonges plus grandiloquents les uns que les autres pour briller davantage, dans un crescendo de cabotinage qui finit par compromettre l’alliance des jeunes tourtereaux. Quant aux pères, ils s’escriment à tâcher de répondre par cordialité dans la langue de l’autre famille, donnant lieu à de formidables quiproquos à rebondissements ou malentendus longue durée en massacrant quelques mots dans l’aventure. Dans cet univers absolument marthalerien, doté d’un décor hyper chargé de type brocante provinciale, permettant mille détournements d’objets, un imaginaire débridé et un jeu au parti faussement classique que viennent fissurer comédie musicale, sur des airs de Mozart comme de Bobby Lapointe, vrilles clownesques et images de plateau éblouissantes de beauté, les interprètes, sublimes, comédiens, chanteurs, contorsionnistes, musiciens, s’en donnent à cœur joie. Une intemporelle pépite.